christian louis

lumière des ombres

Mon dernier livre publié a pour titre "Lumière des ombres". 
Je suis souvent confronté au besoin d'explication quant aux œuvres exposées. Il m'a semblé intéressant de brancher le vidéo projecteur, d'ouvrir les carnets de croquis, de regarder mes derniers travaux et d'écrire sur les coulisses. Au fond, que ce cache dans ces ombres ? Quels ressorts, quels événements ont la force de faire bouger l'artiste vers l'espace vierge à conquérir de ses traces ?
Mettre en lumière, montrer les fils, les trames sécrètes. 
Je parle de mes rencontres avec Michel Butor, Bernard Teulon Nouailles, Skimao, Yves Heurté, Daniel Arasse, Egidio Alvaro... J'évoque Michel Serre et Lucrèce.

 
On peut se le procurer sur:



La publication de Lumière des ombres a suscité plusieurs commentaires. J'ai ainsi pu dialoguer avec plusieurs lecteurs.
Jean-Jacques Curelli m'a adressé son analyse:

"Bonjour Christian,
Je noircis des pages d'un carnet en relisant ton livre et je ne sais plus par où commencer. Je me jette donc à l'eau au hasard : à la recherche de racines grecques en toi.
Quelque chose a attiré mon attention  dans ce que tu appelles ta rupture (...cet horrible individu... m'a rendu service Pg 10) et l'opposition conséquente dans ta création entre avant et après (Page 14 et 15). En effet entre les oeuvres "immobilisées, terriennes, fixes" et celles qui naissent du principe de l'eau, entre l'avant et l'après saccage, on trouve l'opposition de Parménide et Héraclite. Pour le premier la raison propose que rien ne peut se transformer et que nos sens sont trompeurs (... l'objet fini, livré à la spéculation des regardeurs...). Héraclite par contre défendait que tout se transforme ; nous ne pouvons pas "descendre deux fois dans le même fleuve", disait-il, car  le fleuve la 2° fois a changé et moi aussi. Par contre nos sens sont fiables qui me rendent sensibles la transformation ; tu écris d'ailleurs : " en commencer l'analyse qui est déjà périmée".
Qu'en penses-tu ?
Toujours la Grèce ! A propos de Daniel Arasse (Page 27) : " Ses questions, intelligentes, cultivées, vous obligeant, dans le silence nourri des quelques inévitables craquements des bois illustres de l'amphi de la Sorbonne, à chercher au plus profond de vous-même, les mots justes et justement agencés." La maïeutique de Socrate t'a nourri à n'en pas douter. Tu la proposes pour créer (Pg 38 Ces clichés deviennent matériaux à penser, à interroger sur le plan plastique et sur le sens qu'ils véhiculent). Surprise dans ton récit ou tes propos tu passes sous silence cette "influence" grecque. Peut-être suis-je en plein délire ?
 
Je vais terminer pour ce jour en étant plus simple ! La phrase sur Daniel Arasse me ravit ; sa construction "en entonnoir" - les questions amples, puis le silence majestueux, la plongée solitaires en soi et la lumière enfin, juste et justement - est poétique. Elle n'est pas la seule ; ton récit propose d'autres phrases poétiques que je relis comme on relit un poème. La poésie est partout dans ton récit ; elle est en toi et résulte de ta méthode : Pg 41 "Tenir à distance les corps et ses atomes, jouer de cette focale qui permet d'entrer en matière pour voir derrière l'objet et sa singularité, l'unité du cosmos qui me définit aussi."
Amicalement."
(20 février 2010)

Quel beau texte Jean-Jacques.
Effectivement, je suis un passionné de l'Antiquité gréco-romaine, lecteur éclectique de nombreux auteurs:  Platon,   "les vers d'or" attribué aux Pythagoriciens, Epicure, Lucrèce entre-autre. Je m'intéresse aussi aux procédés mnémotechniques des grecs (voir l'excellente somme de Frances A.Yates "l'art de la mémoire" chez NRF Gallimard).
Tu as bien vu ma référence au "mobilisme" d'Héraclite. Il s'incarne paradoxalement dans mes œuvres vidéo en cycles, sans début ni fin. La transformation s'opère par la permanence du regard qui, peu à peu, capte des niveaux de signification. On croit se baigner au même fleuve mais les images font leur chemin et quand elles reviennent, elles ne sont plus les mêmes. Le signifiant plastique et auditif enregistré est, objectivement identique, mais le signifié change peu à peu par la construction de sens qui s'opère chez le spectateur. L'image synthétise les deux. Elle est donc en évolution. 
Le passage de Parménide à Héraclite traduit bien la transformation qui s'est opéré en moi peu à peu. On peut lire dans ce récit les faits, les anecdotes, les événements qui ont provoqué cette mutation. Le chapitre sur "L'autoportrait à la Griffe du Chat" est une des clés de ce phénomène.
Il traite aussi de la grande question de la Mort. 
Je reviendrai plus tard sur ces aspects du livre.
Sur mes influences, il est vrai que la "Théogone" d'Hésiode est l'un de mes fils rouges comme les Métamorphoses d'Ovide. 
Je salue ton œil vif et perçant. 
Tu soulignes aussi mon rapport à la poésie. J'aime que des images s'élaborent au détour d'un récit, que les mots caressent les choses, les objets, les êtres et qu'ils virevoltent, qu'ils se nichent dans des aspérités du réel. Mes phrases poétiques coulent de source. Elle m'entraînent dans le vertige d'une descente enivrante. Elles sont le cœur même de mon plaisir d'écrire. 
A bientôt.
Ch L (20 février 2010)

"Dans les cataractes que tu nous a montrées le mardi 2 mars à Toulouse*, les objets semblent se précipiter vers un abîme (?). Comme des gouttes de pluie, ils circulent sans se toucher, parallèlement si je puis dire. Ils circulent d'une image à l'autre, identiques à eux-mêmes (les bouchons notamment). C'est dans ma tête que des tourbillons se forment aléatoirement. Tourbillons issus de clinamens et de fluxions subjectives qui ne font sens que pour moi (je l'ai vérifié en écoutant parler les autres observateurs !). Corps inertes en chute libre transformés en mouvements libres de mon imaginaire... Christian, de simple spectateur passif consumériste tu m'as fait devenir producteur actif d'oeuvres d'art complètement perso. Je pense vraiment que se trouve là - pour moi - le sens de tes flux généreux et générateurs... 
Jean F"

Merci pour ton commentaire Jean, qui vient à la suite de cette rencontre autour du livre et de la projection de quelques œuvres vidéo. Je profite de l'occasion pour dire à quel point ces moments sont fondateurs pour l'artiste qui questionne une problématique par les moyens singuliers de l'art. Voilà que se dressent plusieurs miroirs amicaux qui éclairent mes questions de réponses riches et variées, ciblant des dimensions diverses de mes préoccupations artistiques. 
Tu parles de cataractes, de gouttes, de circulation, de tourbillons. Tu es au cœur même de mon propos, celui de la confrontation de l'Homme aux flux. Lui-même n'échappe pas à cette dynamique,mais il s'était inventé des balises stables, des repères offrant des pauses pour réfléchir, des temps d'arrêt. Mon travail parle de cette accélération subie des transformations. J'appartiens à cette génération qui à pris conscience, dans son adolescence, de la finitude du monde, des limites des ressources et qui a été aspirée par les flux de l'information. Certains de mes voyages en Amérique, en Afrique ou en Asie s'inscrivent dans cette volonté de pause pour essayer de voir de l'extérieur.
Plus important, tu pointes judicieusement ce phénomène d'appropriation de l'œuvre par le spectateur. Celle-ci est ouverte, interprétable, non réduite à un discours. Tu as cheminé avec certaines à partir de deux images: des textes, des projections vidéo. La pertinence de ton analyse est d'autant plus surprenante que, me semble-t-il, tu n'as pas vu mes dernières installations (je me trompe peut-être). Les mots, les sons, les couleurs, les enchaînements du montage t'ont embarqué vers ton imaginaire propre et tu as construit ton propos. Ce faisant, tu as eu accès à des dimensions intimes de ces œuvres. faisant dialoguer en toi mes propositions et ta culture, mes constructions et ton appareillage conceptuel, et tu as créé. Tu es ce "regardeur qui fait l'œuvre" de Marcel Duchamp. Quand tu dis que tu as senti les différences d'interprétation dans les interventions des autres participants à cette rencontre, tu exprimes là cette idée de base de la multiplicité des regards qui implique d'avoir, en matière d'art, un comportement d'écoute ouverte basée sur la tolérance réciproque. L'art est un débat à multiples dimensions. Il ne peut être, de part sa nature même, le lieu d'un quelconque dogmatisme. De ce point de vue, il n'est pas neutre, il n'est pas un supplément d'âme, il n'est pas un loisir pour oisif. Il est certainement l'un des prétextes à penser le monde et à échanger les points de vue. En celà, il me semble libérateur de la doxa, des discours imposés, des habitudes culturelles. Enfin, c'est mon analyse et elle est, par nature, fondamentalement discutable...
A bientôt Jean.
Ch L  le 5 avril 2010, face au Pyrénées.
  






23/01/2010
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